Par Céilí Boudignon

Les réfugiés ont commencé à être une question préoccupante au niveau international après que leur statut a été défini avec précision lors de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, six ans seulement après le conflit dévastateur de la Seconde Guerre mondiale, qui a fait de plus de 40 millions de personnes des réfugiés ou des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP).

La signature de la Convention de 1951 (UNHCR)

Selon la définition de cette convention et d’autres textes internationaux (tels que le protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés), un réfugié est une personne qui a été contrainte d’abandonner son pays d’origine en raison de persécutions, de violations des droits de l’homme ou d’un conflit violent. Leur pays d’origine n’étant pas en mesure de les mettre à l’abri de ces dangers, les réfugiés ont le droit à une protection internationale — par divers moyens. Les États membres de l’Organisation des Nations unies ont donc créé des normes et des mécanismes pour garantir ce droit, par lesquels la communauté internationale peut exercer une pression sur les pays concernés afin d’en garantir le respect. Tout d’abord, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 détermine les conditions qui peuvent être violées pour qu’une personne devienne un réfugié, et affirme la légalité de ce dernier. Parmi les plus courants, les réfugiés ont le droit à une vie sûre, à la liberté d’expression et de religion, à l’égalité devant la justice et à la protection contre les traitements inhumains, la détention et l’emprisonnement arbitraires. Pour y échapper, ils ont le droit de quitter leur pays et de demander l’asile dans un pays étranger, et d’être accueillis dans des conditions décentes et humaines, sans discrimination. Ce droit est reconnu dans des textes régionaux tels que la Convention de l’Organisation de l’unité africaine de 1969, ainsi que le code des frontières Schengen de 2016. Lorsqu’ils tentent de quitter leur pays et qu’ils arrivent dans leur pays d’accueil, conformément à la convention des Nations unies de 1951 (et à son protocole actualisé de 1967), ils sont protégés contre le refoulement, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être contraints de retourner dans la situation dangereuse dans laquelle ils se trouvaient auparavant. En conséquence, les réfugiés ne peuvent pas être refoulés à la frontière ou aux points de passage et un État ne peut pas refuser tout passage sécurisé à un groupe de personnes uniquement en raison de leur grand nombre. Mais surtout, les réfugiés ont le droit de retourner dans leur pays par leur propre volonté, ce qui signifie que s’ils décident de revenir, on ne peut pas leur refuser l’entrée dans leur pays d’origine, car cela constitue une violation du droit international.

Au même titre que les réfugiés, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) peuvent être victimes des conflits violents. Bien qu’elles aient les mêmes besoins que les réfugiés, elles ne sont pas couvertes par la convention de 1951, car elles se trouvent toujours sur leur territoire national (et relèvent donc de la responsabilité de leur pays d’origine). Pour tenter de résoudre ce problème, le secrétaire général des Nations unies de l’époque, Boutros Boutros Ghali, a créé, en 1998, les 30 Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. Selon ces principes, ainsi que la Convention de Genève de 1949, les déplacements arbitraires et forcés de populations civiles sont en effet interdits. Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays sont donc classées comme des personnes civiles pendant et après leurs déplacements (lorsqu’il s’agit de situations de conflit). De ce fait, ils bénéficient des mêmes protections et de la même législation internationale. Il ne peut pas y avoir d’attaques contre eux ni de punitions collectives, il ne peut pas y avoir d’actions pour les affamer, et on ne peut pas les empêcher d’accéder aux hôpitaux ou aux installations médicales. Les organisations humanitaires et de secours doivent également être autorisées à accéder à ces populations, afin de leur distribuer des médicaments, de la nourriture et du matériel pour s’abriter.

Maintenant que le cadre du droit international a été établi, il est possible d’examiner les conflits les plus visibles qui ont provoqué un afflux important de réfugiés ou de personnes déplacées récemment.

Nous discuterons d’abord du cas des Arméniens du Haut-Karabakh, une enclave à l’intérieur du territoire internationalement reconnu comme appartenant à l’Azerbaïdjan. Après une dernière éruption du différend territorial entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie le 19 septembre, plus de 200 personnes ont été tuées et plus de 400 blessées.

Un immeuble résidentiel endommagé par des tirs d’obus à Stepanakert (AP)

À la suite de la prise de possession de la région par les forces azerbaïdjanaises après un cessez-le-feu négocié par la Russie, la population de 120 000 Arméniens de souche a quitté la région pour l’Arménie, craignant un nettoyage ethnique et des représailles. Avant sa dernière offensive, l’Azerbaïdjan avait bloqué le corridor de Latchine (la bande de terre séparant le Haut-Karabakh de l’Arménie) pendant plus de neuf mois, provoquant de graves pénuries de nourriture, de médicaments, d’hygiène et de carburant dans la région. S’ajoutant à une situation déjà désastreuse, la ligne électrique principale a été coupée durant le blocus, provoquant des pénuries d’électricité et des difficultés de communication. En violation des lois internationales mentionnées ci-dessus, les populations civiles ont été contraintes de fuir leur patrie, et les personnes particulièrement exposées, telles que les personnes âgées et les handicapés, ont été confrontées à des difficultés considérables. Malgré la promesse du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev que les droits des Arméniens restant dans l’enclave seraient respectés, des informations ont fait état de détentions illégales et d’assassinats de non-militaires, comme l’a condamné Morris Tidball-Binz, le rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Pendant les combats, beaucoup se sont réfugiés dans la base russe de l’aéroport de la capitale Stepanakert (Khankendi en azéri), comme dans le cas d’Anabel Ghoukassian, une ancienne résidente de la ville âgée de 41 ans. Cependant, elle et sa famille ont été expulsées après une nuit et sont restées dans un bâtiment abandonné avant de fuir vers l’Arménie. Cela a mis en péril le droit à la sécurité des civils du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan, conformément à la réglementation internationale, a également été tenu responsable de l’absence d’endommagement des infrastructures civiles et de celles des personnes évacuées, mais l’Ombudsman de la République d’Artsakh (nom donné à la région par les séparatistes) a présenté de nombreuses affirmations contraires. Pour évaluer les affirmations de l’Azerbaïdjan sur la sécurité du Haut-Karabakh et de la population arménienne qui a choisi d’y rester, pour la première fois en 30 ans, une mission a été envoyée dans la région. Cependant, des pays comme la France ont dénoncé le fait que l’accord n’ait été donné par l’Azerbaïdjan qu’après l’exode massif de la population précédente.

Des réfugiés arrivant dans la ville frontalière arménienne de Goris (UNHCR)

Pour fournir une aide humanitaire et prévenir une crise à la frontière arménienne, les Nations Unies et d’autres organisations telles que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont envoyé des fournitures et des équipes à la frontière pour venir en aide au grand nombre de réfugiés qui arrivaient. Ils ont également souligné l’importance d’un effort à long terme pour les conditions de vie et l’intégration sociale et économique de ces personnes en Arménie.

Cependant, le conflit du Haut-Karabakh n’est pas le seul conflit récent à avoir mis le sort des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays sur la scène mondiale. Depuis le 7 octobre, les yeux du monde entier sont aussi braqués sur Israël et la bande de Gaza.

Après que le Hamas a lancé une offensive en Israël, faisant au moins 1 200 morts et 5 400 blessés, Israël a riposté en lançant une opération sur la bande de Gaza, sous le contrôle du Hamas depuis 2007. Depuis, à Gaza, plus de 11 000 personnes ont été tuées et plus de 21 500 blessées. En outre, plus de 1 500 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza (sur une population de 2,10 millions d’habitants).

Des habitants constatent les dégâts après la destruction d’un immeuble à Khan Younès, au sud de la bande de Gaza (DPA)

Gaza est l’une des zones les plus densément peuplées au monde, et abritait déjà dans des camps de réfugiés de nombreuses familles déplacées après la création d’Israël en 1948. En ce qui concerne la réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a rappelé que le siège total de la bande annoncé peu après l’offensive du Hamas est interdit par le droit international humanitaire, risquant d’aggraver sérieusement la situation à Gaza en privant la population d’eau potable, de nourriture et de services essentiels. Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a également condamné le bombardement de bâtiments résidentiels et d’écoles par des opérations aériennes israéliennes, faisant des victimes civiles. Avec Lynn Hastings, la coordinatrice humanitaire de l’ONU pour les Territoires palestiniens occupés, il a aussi condamné les attaques contre les installations et les écoles de l’UNRWA (au moins 38 endommagées depuis le début du conflit), où plus de 137 000 civils ont trouvé refuge. En outre, bien que les installations médicales soient protégées par le droit international et ne puissent constituer des objectifs militaires, au moins 13 attaques ont été menées contre de telles installations depuis le début du conflit, et au moins 150 agents de santé ont été tués (selon les Nations Unies). Enfin, Amnesty International a appelé Israël à annuler immédiatement son « ordre d’évacuation » du nord de Gaza. Ils affirment que l’annonce donnant 24 heures ne peut pas être considérée comme un avertissement approprié pour les populations civiles et constitue une violation du droit international (tel que défini précédemment), tout comme les bombardements de certaines voies d’évacuation et de « zones de sécurité » préalablement déterminées dans le sud de la bande de Gaza.

Un convoi d’aide humanitaire entre à Gaza par le poste frontière de Rafah avec l’Égypte (AA)

Ces événements, ainsi que l’acheminement extrêmement difficile de l’aide humanitaire et l’évacuation des patients grièvement blessés en raison de la quasi-fermeture du poste-frontière de Rafah avec l’Égypte, mettent en péril l’état de droit international et les accords, bien que nombre d’entre eux aient été signés par des parties impliquées dans ce conflit.

En examinant les situations complexes du Haut-Karabakh et de Gaza, nous sommes confrontés à la dure réalité des droits des réfugiés. Ces régions, marquées par des conflits persistants, ont créé des vagues de déplacements massifs, mettant en lumière l’urgence de traiter la question des réfugiés et des personnes déplacées avec compassion, respect et engagement envers les droits humains fondamentaux. Amnesty International demeure un phare dans cette lutte, plaidant pour la justice, la dignité et un avenir dans lequel chaque individu, d’où qu’il soit, puisse jouir pleinement de ses droits, sans craindre la persécution ni l’incertitude qui accompagne souvent le statut de réfugié. En unissant nos voix et en agissant de concert, nous pouvons forger un monde où la solidarité transcende les frontières et où chaque être humain trouve refuge dans la justice et le respect mutuel.

BIBLIOGRAPHIE :

Droits des personnes réfugiées et migrantes – Amnesty International France

Protection des réfugiés : Guide sur le droit international relatif aux réfugiés | HCR (unhcr.org)

Droits fondamentaux des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants aux frontières européennes | European Union Agency for Fundamental Rights (europa.eu)

À propos des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays | OHCHR

Les nombreuses violations subies par les personnes déplacées sont bien connues, mais ce qui est souvent négligé, c’est la mesure dans laquelle elles sont affectées par les formes contemporaines d’esclavage, souligne M. Obokata | OHCHR

Réfugiés et personnes déplacées et droit international humanitaire | Comité international de la Croix-Rouge (icrc.org)

« Réfugiés de l’intérieur » : droits, protection et assistance aux personnes déplacées (ird.fr)

Avec plus de 110 millions de déplacés recensés dans le monde, l’ONU appelle à une mobilisation collective | ONU Info

Personnes réfugiées, demandeuses d’asile et migrantes – Amnesty International

L’émergence d’un droit pour les personnes déplacées internes – Persée (persee.fr)

Arménie/Azerbaïdjan. Le conflit dans le Haut-Karabakh cause des souffrances aux personnes âgées depuis des décennies – rapports – Amnesty International

Israël et territoires palestiniens occupés. Israël doit annuler immédiatement l’«ordre d’évacuation» de Gaza – Amnesty International France

Haut-Karabakh | Des milliers de réfugiés en Arménie, promesse de protéger ceux qui restent | La Presse

Karabakh : des équipes de l’ONU aident les réfugiés à la frontière arménienne | ONU Info (un.org)

En Arménie, le désespoir des réfugiés du Haut-Karabakh (france24.com)

L’ONU arrive dans un Haut-Karabakh vidé de ses habitants arméniens (france24.com)

Le Haut-Karabakh est dépeuplé : et maintenant ? | Human Rights Watch (hrw.org)

Arméniens du Karabakh : le HCR se prépare à un éventuel exode de 120.000 personnes | ONU Info

Haut-Karabakh : un exode arménien sous l’œil inquiet des Occidentaux – Libération (liberation.fr)

Karabakh : l’Azerbaïdjan doit garantir les droits des Arméniens de souche | ONU Info (un.org)

Le droit de retour au Haut-Karabakh devrait être garanti | Human Rights Watch (hrw.org)

Au moins 200.000 Palestiniens déplacés à l’intérieur de la bande de Gaza, selon l’ONU | ONU Info (un.org)

Frappes israéliennes sur un camp de réfugiés à Gaza : pourquoi l’ONU évoque de possibles «crimes de guerre» ? (europe1.fr)

Le mandat du HCR pour les réfugiés, apatrides et les déplacés internes (IDP) | UNHCR

Droits humains. Quel statut et quelle protection pour les réfugiés ? – L’Humanité (humanite.fr)

Israël-Palestine : l’ONU insiste sur l’urgence de protéger les civils et de libérer les otages | ONU Info (un.org)

Guerre Israël-Hamas: plus de 423 000 personnes déplacées à Gaza selon l’ONU – RFI

A Gaza, un million de personnes ont été déplacées en une semaine | ONU Info

Depuis 75 ans, l’insoluble question des réfugiés palestiniens (lefigaro.fr)

« Réfugiés » et « migrants » – Questions fréquentes | HCR (unhcr.org)

Israël-Gaza : ce que dit le droit international en temps de guerre (lemonde.fr)Qu’est-ce qu’un réfugié ? – Amnesty International France

Catégorisé: